La fin d’une entourloop.

Episode 1 : le miroir aux alouettes et son contrat

Tout part en 2013 d’une idée d’un certain Elon Musk, celle de faire circuler des trains à sustentation électromagnétique à 1000 km/h dans des tubes en acier sous vide perchés en haut de pylônes. Musk la met à disposition « gratuitement », permettant à une nuée mondiale d’investisseurs de lever des fonds avec la marque « Musk » comme caution technique. Tout le monde s’interroge sur le pourquoi de ce “cadeau” international. Ironie de l’histoire, c’est Musk lui-même qui en dévoilera la raison publiquement en 2022 : l’idée d’Hyperloop avait juste pour but d’empêcher le législateur de favoriser l’arrivée du TGV en Californie qui mettrait à mal son idée d’une infrastructure de transports basée sur des véhicules individuels autonomes et électriques .

En attendant, à partir de 2014, les projets fleurissent partout, à une époque où notre Métropole se questionne sur l’avenir à donner à l’aérodrome militaire de Francazal que l’armée a déserté en quasi-totalité et que l’État souhaite vendre pour partie. 

Et vient l’idée d’héberger une start-up qui s’est emparée de l’idée de Musk : Hyperloop Transportation Technologies qui promet des dizaines de millions d’euros d’investissement sur site et plus d’une centaine d’emplois à la Métropole. L’idée se concrétise le 24 janvier 2017 par la signature d’un un protocole d’entente entre l’État, la Région Occitanie, Toulouse Métropole pour un bail à construction de 40 ans, le foncier comprenant un bâtiment (ancien mess des sous-officiers) et des terrains (parking et portion de l’ancienne voie royale pour construire une piste d’essai d’1 km de long et une autre de 320m), protocole validé a posteriori (sic…) par le conseil de Métropole quelques jours après (délibération DEL17-0105 du 23 février 2017).

Pascal Mailhos le préfet de l’époque, Carole Delga la présidente de Région et Jean-Luc Moudenc, le président de Toulouse Métropole accueillent en grande pompe les dirigeants italiens et allemands d’Hyperloop TT et la Métropole déclare alors : « Signe de l’attractivité de la Métropole toulousaine, la société américaine Hyperloop TT (HTT) l’a choisie pour installer ses activités de Recherche et Développement. Il porte la volonté conjointe d’accueillir HTT sur le site de Francazal, afin d’y implanter un démonstrateur technologique, une piste d’essais et un laboratoire de recherche »

Peu importe que de nombreux observateurs de la communauté scientifique et des transports lèvent déjà de nombreux doutes à la fois sur la faisabilité technique du concept mais aussi pour sa pertinence économique, environnementale et sociale sur le territoire européen, la générosité des collectivités est sans limite puisque l’Etat promet de fournir 15M de crédit impôt recherche (rappel: le mécanisme CIR est de verser, a posteriori des dépenses, 50% des montants investis en R&D par les entreprises) , la Région s’engage elle sur 450 000 euros de subvention et la Métropole fournit le terrain! 

En avant Guingamp !

Quelques mois plus tard, le 29 juin 2017, une esquisse des conditions de la négociation et de la mise à disposition du foncier, est rendue en conseil de Métropole:

  • L’Etat cède les terrains non dépollués à la Métropole pour un montant de 640 000 euros TTC
  • La Métropole s’engage à discuter avec l’Etat de qui portera les coûts de dépollution et à mettre à disposition les terrains à Hyperloop TT
  • Hyperloop TT, en échange de la mise à disposition, à loyer très faible (3000 € HT), des terrains pendant 40 ans, s’engage à rénover le bâtiment susmentionné (ancien mess des sous-officiers) et à construire une piste d’essai sol et une piste d’essai sur pylône

Les négociations progressent sur 2017 et 2018 et il s’avère tout d’abord que la Métropole va finalement prendre en charge la totalité des coûts de dépollution et même se coltiner la destruction de bâtiments, l’Etat traînant les pieds et sachant bien que l’installation du « fleuron » du transport ferroviaire ne saurait prendre du retard côté toulousain. Ce coût est discrètement voté le 27 juin 2019 (DEL-19-0396) via ce qu’on appelle les « autorisations de programme » où la Métropole acte un budget de 5.44M d’euros pour l’achat de la piste, la dépollution des terrains nécessaires aux essais et la démolition de bâtiments, 3,45M pour l’acquisition de terrain pour la piste expérimentale par Hyperloop TT et 1.99M « pour des travaux divers tel que la dépollution ou la démolition de bâtiments ».

Entre temps, le 2 mai 2018, les termes exacts du bail à construction avaient été officialisés : la Métropole met à disposition une superficie d’environ 15 196 m² et assortit le bail à construction de conditions par lesquelles :

« la société HTT s’engage à :

• Procéder, dans un délai de TROIS ANS et SIX MOIS, à une rénovation du Mess des sous-officiers […], pour en faire un centre de recherche ;

• Réaliser, dans un délai de VINGT-QUATRE MOIS, une piste d’essais temporaire au sol sur une emprise située au sud de la zone, et cadastrée Section AZ numéro 26

• Réaliser, dans un délai de TROIS ANS et SIX MOIS, une piste d’essais définitive, sur pylônes, qui devait s’inscrire dans des volumes créés sur une partie de l’emprise correspondant à la « Voie Royale » ;

• Procéder au démantèlement de la piste d’essais temporaire, dans un délai de TROIS ANS et SIX MOIS libérant ainsi totalement la parcelle cadastrée Section AZ numéro 26 »

 sans mention d’emplois…

Episode 2 : l’entourloupe : faire passer un fiasco en « redimensionnement » pour ne pas rendre l’argent, avec la complicité de la Métropole

Deux ans et demi se sont écoulés depuis la signature du contrat et…. rien ne se fait. Mis à part l’arrivée d’un algeco pour héberger quelques PC et ingénieurs, celle d’une jolie capsule de test qui aurait pu faire croire à une forme de réalité industrielle et si des tubes ont été posés sur la « petite piste » de 320m, il n’y a fin 2020 toujours rien de construit sur la piste de 1 km et la rénovation du mess des sous-officiers n’a pas l’ombre d’un début. Les tubes de la piste de 320m sont vides et absents d’instrumentation quelconque.

Où sont les 40M promis (5) ? Le contrat est objectivement dans les choux et le projet industriel bat clairement de l’aile, les doutes se multiplient sur la sincérité des réponses apportées par Hyperloop TT qui n’a pas réalisé le moindre essai et peine à lever des fonds.

A ce stade, le contrat aurait dû être dénoncé. Aucune clause mentionnée ci-dessus n’est remplie à temps ni en passe de l’être à temps. 

Et en mai 2021, Hyperloop TT est bien obligée d’annoncer ne pas tenir ses engagements et ainsi avouer ne réaliser ni la piste, ni la réhabilitation du mess. L’argument ubuesque annoncé serait que finalement 1km pour tester un élément mobile se déplaçant à plus de 700 km/h, c’est … trop court ! 4 ans pour s’en apercevoir et ce, sans aucun prototypage. 

Quant au mess, Hyperloop annonce toujours maintenir son activité R&D et avoir un gros potentiel de développement mais… que son algeco lui suffit. Pour parachever le tout, Altran qui avait parlé de mettre jusqu’à 100 ingénieurs sur le projet, met fin en juillet 2021 à sa collaboration avec la start-up qui « n’a pas honoré ses factures » . Bref à ce stade plus grand monde ne peut nier l’hyperloopé. Et quelle réaction vont avoir les éluEs ? Et bien “même joueur joue encore”  ! Et c’est celle qui était à l’époque Vice-présidente de Toulouse métropole en charge de l’économie, aujourd’hui secrétaire d’Etat, Dominique Faure, qui se colle au service après-vente du tour de passe-passe :

« C’est un simple redimensionnement, il n’y a pas lieu de s’inquiéter » annonce Dominique Faure alors vice- présidente de Toulouse Métropole, chargée de l’économie et maintenant Ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales

France Bleue Occitanie, 23 décembre 2021

  « C’est un simple redimensionnement, il n’y a pas lieu de s’inquiéter » annonce-t-elle fin 2021, à l’heure où la Métropole n’a pas le choix que d’acter l’abandon de l’investissement sur site et la résiliation du bail de construction, chose faite le 16 décembre 2021, résiliation qui se fait sans aucune contrepartie alors que le contrat n’est aucunement respecté

La délibération contient même cette phrase magique : « Le site de Francazal reste un site essentiel de la stratégie de développement d’Hyperloop pour laquelle il apporte de nombreuses compétences et perspectives de développement ».

Un bail précaire et révocable est mis en place à partir du 1er octobre 2021 et pour une durée de 2 ans soit octobre 2023. Il prévoit une redevance annuelle de 92 160 € payable par trimestre. A compter du 1er mars 2023, cette redevance annuelle est abaissée à 77 040 €.

La Région se montre elle plus énervée, se réservant le droit de demander le remboursement des 89 000 euros déjà versés sur les 450 000 promis. 

Episode 3 : un lourd silence: continuer de faire semblant, le contribuable pourrait ne pas s’en apercevoir… mais une série de questions qui restent sans réponse

Fin de l’histoire ?

Février 2023, la présentation de la future ZAC Francazal fait apparaître clairement qu’Hyperloop ne fait plus partie du paysage et via la délibération 23-0041, Toulouse Métropole vote le lancement d’un concours de maîtrise d’œuvre pour 6.5M d’euros TTC pour la rénovation du mess des sous-officiers. Certes le fait d’avoir la maîtrise d’œuvre du projet permet de l’adapter plus finement aux besoins et de disposer du bâti plus rapidement que si Hyperloop l’avait rénové et investi. Mais est-ce que cela justifie qu’Hyperloop puisse échapper à ses obligations et filer dans le silence de Toulouse Métropole ? 

Car Hyperloop a beau faire semblant de rester de manière assez risible pour qui s’intéresse aux sujets d’ingénierie, le projet est bel et bien mort. L’heure est donc aux comptes. Et contrairement à ce que déclamait le 23 juin 2022 en conseil de Métropole Mme Faure : « À longueur de séance, vous m’interrogez sur la question de savoir où nous en sommes avec Hyperloop et à longueur de séance, je vous réponds qu’il n’y a pas eu d’argent public métropolitain donné à Hyperloop », la réalité est a minima (voir plus bas la liste des questions): 

  • plus de 3 ans de location presque gratuite du site
  • une dépollution/démolition entièrement assurée par la Métropole pour 5.44M d’euros alors que le coût aurait dû être partagé avec l’Etat
  • un mess des sous-officiers qui a continué à se dégrader sans être rénové comme signé, et qui oblige la Métropole à mettre 6.5M de rénovation dans ce bâtiment.

Tout cela, c’est de l’argent public.

Côté Région, la stratégie de laisser filer Hyperloop semble similaire puisque la Région fait volte face et annonce finalement considéré que les 89 000 euros qu’elle entendait récupérer ont bien été dépensés sur “un projet de recherche”

Et se posent toujours une série de questions :

  • Pourquoi la Métropole n’a-t-elle pas négocié, à la modification du bail, le non-respect des conditions du contrat ? Par exemple, pourquoi n’a-t-elle pas a minima demandé en compensation un loyer d’occupation du site pour la période 2018-2021 comme elle semble l’avoir fait à partir du 1er octobre 2021 (délibération DEL-21-0421) pour un montant de 92160 euros par an ?
  • Quel a été le surcoût exact de la dépollution/démolition aux frais de la Métropole alors que le terrain était responsabilité de l’Etat et qu’un accord devait être trouvé ? Comment la majorité peut-elle déclarer en décembre 2021, par la voix de Dominique Faure (plus haut) ou celle de Camille Pouponneau que « la dépollution qui a été programmée pour pouvoir bien utiliser Francazal a été déduite des coûts d’acquisition, aurait de toute manière dû être faite et elle a représenté 700 000 euros de travaux. A tout casser, nous avons dépensé entre 50 et 100 000 euros pour assurer des installations de réseau» quand la délibération DEL-19-0396 du 27 juin 2021 mentionne 5,44M d’euros de dépenses sur le sujet: 3,45M pour l’acquisition de terrain pour la piste expérimentale par Hyperloop TT et 1.99M « pour des travaux divers tel que la dépollution ou la démolition de bâtiments »
  • Hyperloop TT a-t-elle bien payé son bail de 92 160 euros par an ?
  • Globalement quel argent a été investi et dépensé au total sur ce projet quand en plus de l’acquisition des terrains et la dépollution, la Métropole affichait dans son débat d’orientation budgétaire de 2020 sa volonté d’investir encore 3.3M d’euros sur Hyperloop (9) ?
  • Quel est le contenu exact du projet de recherche qui aurait été effectué par Hyperloop et justifierait les 89 000 euros versés par la Région, que celle-ci (voir plus haut) estimait devoir être remboursés dans un premier temps? Pourquoi ce volte-face?

Y aura-t-il un prochain épisode ?

2 réponses à “La fin d’une entourloop.”

  1. Avatar de ETAVE
    ETAVE

    Bonjour,
    Personnellement, je trouve que le simple bon sens aurait permis de ne pas s’engager dans ce projet ( à Toulouse, mais aussi en Haute Vienne, etc…). En effet, 10 personnes dans une capsule toutes les trois minutes au mieux ( le temps de s’installer et de sécuriser ) ,cela ne fait que 200 personnes à l’heure, en terme de capacité. En comparaison, un TGV peut, toutes les heures, transporter 800 personnes. Donc, Hyperloop ne pouvait aucunement avoir une rationalité/faisabilité économique .

  2. […] La gabegie la plus marquante des dernières années : le projet avorté Hyperloop de Francazal.  […]

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