Prison Saint Michel : 8 ans de promesses pour un abandon en rase campagne

Roublardises politiques à la prison Saint-Michel.
Ou comment l’État et la Mairie acoquinés, organisent la bétonisation débridée du site en laissant croire aux associations de quartier, habitantes et habitants qu’il s’agit de construire des équipements publics. 

8 ans de promesses non tenues, et des années de roublardises révélées par “l’appel à idées” de l’Etat. Cet appel a été officialisé par la préfecture en ce début juillet 2022, avec l’assentiment de la Métropole, et, comme toujours pour les mauvais coups, il a été fait dans la torpeur de l’été.
C’est le ras le bol de l’Etat (feint ou simulé?) qui voit son bien se dégrader depuis 2009 et Jean-Luc Moudenc jouer au chat et à la souris avec lui et les habitantes et habitants depuis 2014.

Rappelons l’historique

2002/2006 : Sous la mandature de Douste Blazy, la ville de Toulouse informe l’État de son intention d’acquérir la prison St Michel pour la réhabiliter en équipement culturel d’envergure internationale. Il en découle un projet de « cité de l’artiste et de l’ingénieur » établi par le cabinet Atlante et Richard Edwards. Ce projet d’un lieu de résidence, création et monstration, mêlant art et science est un élément essentiel pour la candidature de Toulouse pour devenir capitale Européenne de la culture en 2013.
Las, Toulouse ne sera pas capitale Européenne de la culture…

2010, les associations de quartier redoutent alors que l’appât du gain d’une opération immobilière privée mette à mal l’aspect patrimonial de la prison et le Comité de Quartier St Michel organise une pétition, qui recueille 17000 signatures, pour demander la protection du site au titre des Monuments Historiques
Et le Conseil Municipal réaffirme sa volonté d’acquérir le site à l’estimation des domaines 750 000€.
Mais l’État en veut plus … et les roublardises commencent.

28 janvier 2011 la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites (CRPS) examine la protection de la prison. Le représentant du préfet refuse l’audition des conservateurs de la DRAC qui aurait probablement abouti à une protection de l’Étoile (élément majeur du site). Il limite les débats au strict périmètre du Castelet situé en bordure de l’unité foncière, laissant libre l’essentiel de la surface de la prison. 

Le Castelet Photo @DDM/Archives


L’étoile complète avec ses 5 branches, le Castelet sur la gauche – Photo @IGN

Première roublardise, l’inscription à l’inventaire des Monuments Historiques limitée au Castelet, laissant l’étoile et le reste du site sans protection, est l’indication de la volonté prioritaire de l’État de « rentabiliser le site ».

Et pour « rouler dans la farine » les associations de quartier vigilantes, le machiavélisme conjugué de la ville et de l’État se met en place : un affichage annonçant des équipements publics masquant un travail occulte pour une valorisation maximale en privatisant sans encadrement. 

 Le 20 avril 2011 le préfet en réponse aux associations de quartier déçues du non examen de sa demande eu commission, s’engage à ce que la protection de l’entier du site soit examinée à une prochaine CRPS … que l’on attend toujours.

 19 décembre 2011, geste positif, le Plan Local d’Urbanisme protège dans sa 5éme modification les bâtiments de la prison et autorise de construire en périphérie du site. Du coup l’État veut maintenant 11.5M € pour le terrain qu’il juge constructible !

Alors certes le PLU préserve l’Étoile, mais un PLU ça se révise à volonté  … contrairement à une protection Monuments Historique. Et Jean-Luc Moudenc, alors dans l’opposition, le sait.

 2013, campagne municipale, avec une première promesse de Jean-Luc Moudenc, celle de réaliser un auditorium enterré pour l’ONCT -Orchestre National du Capitole de Toulouse- en conservant l’ « étoile » (rotonde centrale et ses 5 branches) entourée d’espaces publics sous la prison ! 

Les habitantes et les habitants ne sont pas informé.es bien sûr mais enterré, cela veut dire creuser un trou de 25 mètres dans l’eau avec une nappe phréatique à 4,5m. Les experts, architectes ou urbanistes, en sourient mais la supercherie fonctionne.

 2014 : Jean-Luc Moudenc est élu, et sa promesse de campagne d’un auditorium avec.  Lors d’une réunion publique à la Chapelle St Michel, Jean Luc Moudenc lui-même fait ouvertement un chantage aux associations de quartier : ou vous soutenez mon projet d’auditorium, ou vous serez publiquement complices d’un avenir incertain pour ce site ! 
La roublardise continue, car ce faisant non seulement il muselle les associations mais il calme aussi les velléités de Tugan Sokhiev le chef d’orchestre du Capitole qui réclame une salle de répétition. Alors bien sûr on ne pourra pas construire dans ce mandat, mais le suivant : et en attendant on va « concerter à la Moudenc » 

 En mars 2014, la mairie présente un pré projet pour crédibiliser une organisation autour d’un auditorium : bien évidemment on n’enterre plus les 22 m de l’auditorium … du coup on supprime une branche de l’Étoile (et tant pis pour l’intégrité patrimoniale, au préfet de renvoyer la balle en mettant au pas ses services de la culture : il faut continuer à faire croire que c’est possible …)  Sur cette base et pendant 5 ans un groupe de travail, présidé par Francis Grass, adjoint à la culture, composé de l’État (préfecture, Architecte des Bâtiments de France), la Ville (orchestre du Capitole, services techniques et urbanisme), des urbanistes prestataires « la fabrique urbaine » et les associations de quartier (Busca et St Michel), travaille sur une faisabilité technico /financière en faisant comme si on était en confiance . 

La suite dévoilera la supercherie, il ne s’agissait pour Jean-Luc Moudenc que de gagner du temps !

 À l’été 2019 le Préfet valide le scénario issu du travail conséquent du groupe, qui a vu oeuvrer avec coeur les habitantes et habitants ainsi qu’associations de quartier dans une concertation de qualité. Il baisse le prix initial demandé de 11.5 millions d’Euros et propose à la Ville d’acquérir le site pour 5,5 millions, avec un vrai projet pouvant s’intégrer au PLU: des espaces publics en pleine terre, un équipement public intégrant l’Etoile, des espaces privés constructibles …

  

Photo @Ville de Toulouse

Enfin ! se dit tout un quartier. Il n’y a plus qu’à acheter pour empêcher la dégradation du site et s’atteler à la mise en œuvre du projet artistique dans le cadre d’une OAP (Opération d’Aménagement Public qui garantira la mise en oeuvre du scénario retenu, sous la conduite de la Métropole). Mais… Jean-Luc Moudenc traîne des pieds, invoque la nécessité de fonds européens, de la Région et du ministère de la culture et… n’achète pas.
 Francis Grass est pendant de ce temps aux abonnés absents et la Maire de quartier se défile.

 Rentrée 2019, l’inquiétude  monte dans le quartier quand les recherches sur les coûts d’un auditorium de 2000 places comme celui sur lequel s’arqueboute le maire montrent un budget nécessaire entre 300 et 500 millions d’euros et non pas 150 comme l’estiment les services de la mairie.  La question continue donc d’être dans toutes les têtes : y-a-il une véritable volonté politique de réaliser ce projet ? L’Etat et la mairie ne sont-ils pas simplement en train de balader les habitantes et habitants autour d’un projet de toute façon non finançable ? 
 Se profilent alors les élections municipales…

 Mars 2020, re-campagne électorale, retour des promesses: le programme du candidat Moudenc, imprimé sur papier glacé et distribué aux habitantes et habitants du quartier, (re)mentionne la conception d’« une Cité de la Musique avec un nouvel auditorium de 2 000 places pour notre Orchestre mais aussi des lieux de vie et de convivialité autour de la pratique professionnelle et amateur ».
 On prend les mêmes et on recommence. Tant que les habitantes et habitants sont crédules…

 Août 2020, Jean-Luc Moudenc sort du silence et confirme alors que ce projet est trop lourd financièrement pour la Métropole et qu’aucun partenaire ne se présente pour l’aider… Mais l’abandon du projet vient de la Métropole ! qui n’a prévu aucun budget pour le projet de “Cité de la musique” dans son plan pluri-annuel d’investissement (PPI). Comment solliciter les autres collectivités locales alors qu’on rien prévu soi-même pour son propre projet ? Et qu’aucune demande de financement de l’Etat n’a été faite par la Métropole dans le cadre du Contrat de plan Etat-Region (CPER), dispositif ad hoc pour des co-financements Etat-Région de projet métropolitain de cette ampleur. 
Les masques tombent définitivement. Mais comment faire avouer à Jean-Luc Moudenc une manipulation qui dure depuis tant d’années ?

 14 Octobre 2021, la trahison se fait jour plus lourdement. Interrogé par l’élu d’Archipel Citoyen Maxime Le Texier en pleine séance du conseil métropolitain pour connaître les intentions claires du maire-président, Jean-Luc Moudenc déclare concernant la cité de la musique “qu’il n’y a pas de promesse de campagne là-dessus” mais que c’était “une proposition de campagne” .
Le cynisme et la vieille rhétorique politicienne à son paroxysme, la manipulation à l’oeuvre.

Arrive 2022. L’abandon du projet est maintenant clair. Mais une bonne traîtrise s’orchestre pour ne pas être trop visible.

 Été 2022, l’orchestration de l’abandon commence, la méthode laisse pantois :
—- 1/ D’abord lancer un pseudo appel à idées en plein été, en ne laissant que 2 mois de travail quand on connait le ralentissement de l’activité générale mais encore plus des domaines de l’architecture et du bâtiment en aout. Ce, avec des conditions invraisemblables : appel à idées non rémunéré et abandon des droits de propriété artistiques en cas de sélection de l’idée!
Qui va répondre dans ces conditions à moins de s’être entendu par avance avec les commanditaires ?
—- 2/ Ré-ouvrir la boîte de Pandore dans cet appel en faisant sauter les contraintes de préservation du patrimoine (conservation de 4 des 5 branches de l’étoile) et le contenu de la concertation (Le cahier des charges de l’appel à idées mentionne uniquement pour information les résultats de la concertation et aucune contrainte ferme n’existe sur la préservation du bâti, la présence de jardins publics ou de parvis)
—- 3/ Envoyer ensuite l’adjoint à la culture (tiens, voilà Francis Grass) rassurer dans la presse en disant que le projet concerté de Cité de la musique fait toujours partie des options qui pourraient être reprises par… quelqu’un. Alors qu’aucun financement institutionnel n’a été trouvé en 6 ans pour le projet  “folies des grandeurs” de Jean-Luc Moudenc, ce avant crise et inflation, on fait croire à l’apparition d’un mécène messie privé ? Quel cynisme…
—- 4/ Surtout ne rien proposer d’autre côté mairie et Métropole alors que des projets beaucoup moins chers de tiers lieu culturels, à l’image de ce qui s’est fait à l’îlot Lapujade (mêlant cinéma, logement coopératif, associations), ont montré leur utilité et faisabilité. C’était tout le sens de la proposition de “Cité des Imaginations” d’Archipel Citoyen : réfléchir avec les habitantes et habitants à un  projet servant à imaginer la Ville de demain. Un lieu laboratoire qui permettrait de faire travailler en commun les acteurs de plusieurs disciplines et formes culturelles, scientifiques et techniques.
—- 5/ Et bien sûr ne proposer aucun débat politique sur l’avenir de la prison ni avec les parties prenantes comme les associations de quartier et les habitant.es, ni dans les instances démocratiques qui devraient être le lieu minimum de ce débat, à savoir au moins le Conseil Métropolitain.


Ne nous y trompons pas : à travers cette méthode grossière, l’Etat et la Métropole sont de mèche pour abandonner le site à des opérations immobilières sans cadre, se renvoyant gentiment la balle dans les mois qui viennent afin de céder en fin d’année le terrain aux promoteurs.

Ce n’est pas un procès que nous faisons à la promotion immobilière qui sait travailler dans d’autres villes de France dans un cadre public, respectueux du lien social et des contraintes climatiques. Et le projet négocié par le groupe de travail avait prévu une partie de privatisation mesurée.

 Nous accusons État et Métropole, dans une logique libérale sans direction ni vision politique, de jeter aux orties un projet entièrement prêt (le Plan Local d’Urbanisme est compatible, le projet concerté, l’équipement public peut très bien être autre chose que l’auditorium hors de prix de Jean-Luc Moudenc, une Orientation d’Aménagement Programmée – OAP – serait parfaitement adaptée à sa mise en oeuvre) et pire d’avoir menti aux habitantes et habitants depuis le début et ne pas savoir assumer leurs choix libéraux.

Il est indigne d’avoir fait autant travailler les parties prenantes, d’avoir promis par 2 fois la réalisation d’un projet dans des campagnes électorales pour se cacher maintenant derrière l’Etat et céder un nouveau pan de notre patrimoine et d’espaces publics à la promotion privée, sans étudier aucune alternative.

 Nous demandons donc à Jean-Luc Moudenc et à la Métropole :

  • de lancer, en parallèle de l’appel à idées, une continuité de la concertation publique métropolitaine, en réunissant tous les acteurs de la place toulousaine et les habitant.es., sur un projet alternatif au projet de Cité de la musique qui n’est plus semi-enterré mais définitivement 6 pieds sous terre du fait du changement radical de contexte (COVID, invasion de l’Ukraine, inflation générale forte et encore plus sur le secteur du bâtiment) 
  • de demander à l’Etat de suspendre sa procédure de vente au privé à l’issue de l’appel à idées et de vendre à la Métropole au prix agréé de 5.5M d’euros à charge pour la Métropole de mener à bien la reconversion du site via la concertation proposée, dans le cadre d’une OAP et dans le respect de l’esprit de service public et de constructibilité limitée issus de la première concertation (afin de respecter l’exigence de l’Etat sur l’intérêt général du site). La Métropole garantira à l’Etat, d’intégrer les résultats de l’appel à idées

 Il ne reste plus que quelques mois à la Métropole pour donner tort à toutes les inquiétudes et indices troublants qui mettent en évidence une volonté de vente au privé. Il ne reste que quelques mois à la Métropole pour se ressaisir. Il lui faut agir. Vite.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *