Derrière l’écran de fumée de la ZFE

Une bonne série repose sur une intrigue avec un enjeu fort et des personnages fuyants dont on n’arrive pas à cerner les motivations (Rogue dans Harry Potter est-il gentil ou méchant ? Lando Calrissian est-il un traitre ou un ami ? Robert Taro aime-t-il Marseille? Erick Ricwaert est-il machiavélique?)

La série dramatique qui se joue depuis des années à Toulouse repose sur un enjeu de taille : la pollution atmosphérique et son impact sur notre santé. Surtout celle des plus pauvres. Et le personnage intriguant c’est Jean-Luc Moudenc. Pour comprendre à quel point l’épisode du prochain Conseil Métropolitain du 12 octobre 2023 joué par le duo Docteur Jean-Luc et Mister Moudenc est obscène, pour saisir à quel point la communication forcenée auprès des toulousainEs sur sa bravoure dans le combat pour les classes populaires est outrancière, pour prendre la mesure de l’incohérence dans le temps dont le duo fait preuve, il faut prendre du recul et examiner la politique du maire-président sur le temps long.

Introduction : c’est quoi le problème ?

La pollution atmosphérique est un enjeu de santé reconnu au niveau européen depuis les années 2000 pour ses conséquences sur la santé, – pré éclampsie chez les femmes, asthme, déficiences cognitives et neurologiques, prématurité et insuffisance pondérale à la naissance… (1) (12). Conséquences mortelles mais aussi économiques avec un coût induit faramineux pour la société (2), estimés à 393 millions d’euros par an pour Toulouse soit 819 euros par an et par habitant.

Les deux principaux polluants coupables de la dégradation de notre santé sont les oxydes d’azote (NOX) qui proviennent principalement des transports thermiques et les particules fines qui proviennent plutôt du chauffage des logements combiné également aux transports et à l’agriculture (pour une pédagogie détaillée sur les polluants, lire le rapport ATMO 2022 (3 ; p14)

Cet article se concentre sur la pollution liée aux transports, en cause dans les deux polluants à la fois et  parce que la ZFE est un outil spécifique aux dits transports. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur les particules fines (et ses sources: foyers ouverts, industrie, pneus des véhicules) et nous en ferons surement un prochain article.

Donc concernant la pollution liée aux transports, des dispositifs de limitation de cette pollution se mettent en place partout en Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, etc… On compte ainsi des dispositifs type ZFE/ZTL (Zone à Trafic Limité) au nombre de 228 en 2019 selon Cities (on est passés ensuite à 320 en juillet 2022, et une cible à 507 en 2025) avec des effets bénéfiques démontrés sur la qualité de l’air (« A Madrid par exemple, la ZFE a permis de réduire la concentration de dioxyde d’azote (NO2) de 32%. A Lisbonne, la ZFE a permis de réduire la concentration de NO2 de 12% et celle de PM10 de 23%.  » (1)).

Les dispositifs sont très variés en superficie, contrainte horaire, type de limitation, paiement ou non pour rouler dedans, seuils de pollution ou vignettes, dérogations, etc… ce qui les rend difficilement comparables. Vous en avez un bon aperçu ici : (3) et on vous laisse vous  faire une opinion. Mais deux choses à noter dans chaque dispositif:

  • la gageure est toujours de concilier impératif de santé, justice et acceptabilité sociales
  • dans tous les cas, impact sur la santé ou impact sur le pouvoir de vivre, les perdants sont toujours les plus pauvres.

Et dans le cas de Toulouse, on va le voir, le manque de vision long terme, l’alignement avec la volonté du gouvernement de favoriser l’industrie automobile, l’absence de politique de transport cohérente, nous met dans une situation qui pousse la population vers une unique solution inabordable : la voiture électrique, qui pose par ailleurs d’autres problèmes.  

Une feuilleton à rebondissement

Voyons donc voir comment Toulouse s’y est pris.

Episode 1 – 2014-2018 : l’inaction comme moteur

A Toulouse, comme en France en général, le sujet de la pollution de l’air stagne. Aucune ZFE/ZTL n’est mise en place rien (la première Zone à circulation restreinte sera instaurée à Paris en septembre 2015 et la 1ere ZFE verra le jour en 2020 à Lyon). 

Dans notre ville, la pollution croît constamment sur cette période et rien n’est lancé. Les permis de construire aux abords de la rocade se succèdent alors que l’on sait que l’on va héberger des familles entières dans la pollution (un exemple : le 91 avenue de Rangueil). Et les élus de l’opposition le clament.

Pourtant Toulouse aurait pu agir (13)

En 2018, l’exécutif toulousain fait ses premiers pas et demande à l’AUAT (Agence d’urbanisme et d’aménagement Toulouse) et ATMO Occitanie (qui n’est pas un acronyme mais désigne l’Observatoire agréé pour assurer la surveillance de la qualité de l’air sur le territoire de la région Occitanie) une pré-étude sur les scénarios possibles dans la ville Rose. Sous la pression de l’opinion publique et de l’Etat, qui paye des amendes salées à l’Europe pour inaction contre la pollution, un premier pas est fait à reculons avec le vote le 4 octobre 2018 du principe de la ZFE (4) avec une reconnaissance bien obligée des niveaux de pollution par le vice-président François CHOLLET : « À Toulouse nous avons une pollution qui est préoccupante et contre laquelle nous voulons lutter« , (4). Un engagement est pris d’une mise en place fin 2020 (engagement qui ne sera pas tenu) mais sans rien annoncer du contour de la ZFE. Rendez-vous est pris avec la population pour la concertation.

Episode 2 – 2019-2020 : une concertation a minima, une ambition affichée mais …

C’est le moment où Archipel Citoyen se saisit du sujet, et pour pousser à l’information des habitantes et habitants, et encourager la participation au débat, nous publions une cartographie des niveaux de pollution à proximité des lieux accueillant des enfants (5)

En lien avec les scénarios et pour se tenir prêt au changement législatif qui se profile, l’exécutif lance du 21 mars au 10 juillet 2019 une concertation. Nous y participons et c’est la déception. Celle-ci revendiquera 1600 personnes sollicitées mais quand on regarde le détail on s’aperçoit que la concertation a consisté en 3 “débats nacelle” (joli nom pour dire que 10 questions étaient posées aux passants en sortie de métro, conception étrange du “débat”)  avec 500 personnes dans l’espace public et qui était orienté plutôt vers la sensibilisation à la qualité de l’air, pas sur la ZFE elle-même que la Métropole n’osait surement pas afficher. Une présentation est également faite aux comités de quartier mais sans aucune information sur les scénarios non plus. Bref trop peu d’information et pas de co-construction des scénarios

En parallèle, dans l’ombre, quatre scénarios sont choisis par l’exécutif qui commande une étude d’impact supplémentaire auprès d’ATMO et de l’AUAT. Ils sont publiés avec les résultats en août 2019 (6)

Et là ô temps suspend ton vol, un phénomène majeur sur la santé publique intervient : les élections. Bien entendu ne pas parler de sujets qui fâchent et sont peu connus du public et surtout d’un électorat assez porté sur la voiture. Bref rien ne se passera avant … septembre 2020, date à laquelle le scénario choisi est révélé par le Dr Jean-Luc. Dr Jean-Luc car la zone est ambitieuse dans son périmètre (voir le schéma ci-contre) avec une portion de rocade concernée et ambitieuse dans sa première partie de calendrier, étalé entre 2021 et 2025 alors que rien n’a été anticipé sur les aides et l’information aux habitantEs

On se prête à croire en Dr Jean-Luc d’autant qu’il annonce un volontarisme surprenant bien que cohérent avec le calendrier sur les moyens de contrôle : « Le contrôle du respect des règles de la ZFE devrait être automatisé et réalisé « à l’aide d’un système de caméras ». L’État serait « en train d’étudier les logiciels permettant de faire et centraliser ces contrôles ». Cependant, l’automatisation sera mise en place « à partir de 2022 seulement ». Au cours de l’année 2021, « les contrôles seront effectués par la police municipale » (7)

Pourquoi une telle ambition quand on a traîné des pieds autant jusque lors ? La logique vient de M. Moudenc qui a été bien entendu malin dans le tour de passe passe, nous allons le voir.

Tout d’abord, la première surprise vient du manque de projection à long terme. En effet les autres villes françaises, afin de permettre à leurs habitantes et habitants de savoir quoi faire de leurs investissements en véhicule et anticiper sur l’avenir, à l’instar de Grenoble, Lyon, Strasbourg ou Paris, fournissent elles, avant Toulouse, un calendrier allant jusque 2035 et mettant en place des sorties complètes de diesel et plus généralement de combustible fossile anticipant, nous le verrons, à juste titre, les recommandations de l’OMS qui vont se durcir au vu  des impacts initialement minorés de la pollution sur la santé. Elles offrent ainsi un calendrier clair et de long terme, compatibles avec les délais longs de remplacement de véhicules (15 ans pour les particuliers, 8 ans professionnels) et de mise en place de plans transport. Et ont démarré plus tôt sur la question des aides et solutions de substitution à la voiture.

Pour quelles raisons donc démarrer vite et avec peu de préparation si la vision à long terme n’est pas là en plus ? Nous allons le voir, il y a une bonne raison : c’est que M. Moudenc n’a aucune intention d’appliquer concrètement la ZFE à Toulouse.

Episode 3 – Une ambition factice : dérogations, absence totale de contrôle -> première incohérence

Après une concertation vite expédiée en 30 jours début 2021 (on est déjà en retard sur l’engagement de mise en place avant fin 2020), commence la mise en place des aides et le 1er mars 2022, du dispositif (donc avec plus d’un an et demi de retard). Et le ballet des contestations commence. Et les dérogations pleuvent. Si certaines s’entendent (pass petit rouleurs), elles montrent aussi que la concertation n’a pas impliqué à une échelle assez large. La contestation enfle et inquiète M. Moudenc qui n’a qu’une préoccupation : l’électeur. Aussi rapidement, en plus des dérogations, le dispositif se complète par la première arme : l’absence totale de contrôle et par la police municipale et par la police nationale. Exit donc les promesses de l’épisode 2 sur les contrôles… Il est demandé expressément à la PM (police municipale) de ne … rien faire, même pas de contrôles pédagogiques alors que plus de 7000 contrôles routiers sont faits par an en moyenne selon le vice-président de la Métropole François Chollet (déclaration faite en commission municipale) !! 

Certes il y aurait eu quelques contrôles de vignette, minimes et pédagogiques, mais par la Police Nationale et lors de contrôles routiers pour infraction. Et en 3 ans de demande de chiffres, jamais nous ne les aurons. 

Combiné à l’absence de politique d’information ambitieuse, le résultat ne se fait pas attendre. Les toulousaines et toulousains qui ont anticipé et changé de véhicule réalisent qu’elles et ils sont les dindons de la farce car ils ont investi leurs économies, en des temps d’inflation, sans obligation immédiate réelle (8). Et celles et ceux qui sont dans l’ignorance ou qui  savent qu’il n’y a aucune controle, de continuer comme avant. A mettre tout sous le tapis, M. Moudenc gagne du temps mais la bosse sous le tapis grossit. Et l’échéance 2024, fatidique pour les Crit’air 3 dans la ZFE toulousaine de se rapprocher.

Episode 4 – 2023 : infiltration gouvernementale, rétropédalage électoraliste -> deuxième incohérence et perte de crédibilité

Alors comment faire quand on s’est enfin décidé à parler pollution pour reculer discrètement et tant qu’à faire apparaître comme le grand défenseur des opprimés?

L’opportunité va lui être offerte par l’Etat et son ami M. Macron qui est lui aussi englué dans la même problématique à l’échelle nationale et une fronde sociale potentielle de grande ampleur, qui pourrait ressembler aux Gilets Jaunes: une mission d’étude sur les ZFE en partenariat avec la vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg dont le rapport doit être remis à Christophe Béchu en juin 2023.

Hop voilà Dr Jean-Luc qui revient auréolé de son souci et soutien aux classes populaires, lui qui a traîné des pieds pendant des années sans rien mettre en place pour permettre le développement de moyens de transport péri-urbains performants, que ce soit le RER, le bus ou les réseaux vélo métropolitains. Et d’insister dans son rapport sur la justice sociale (9 – voir le titre) et l’importance de ne pas brusquer la population.

Ne nous méprenons pas, dans les 25 mesures présentées dans ce rapport, nombreuses font sens et auraient dû d’ailleurs être mises en place bien plus tôt. Et oui, dix fois oui, la justice sociale est clé.

Mais est-elle véritablement défendue dans le fait de laisser les populations de bord de périphérique continuer à être lentement asphyxiés par la centaine de milliers de diesel qui passe chaque jour sous leurs fenêtres ?

Et comment ne pas grincer des dents quand ce rapport remis par Dr Jean-Luc le sauveur social pointe du doigt l’inaction et les angles morts de sa propre stratégie :

  • Mesure 4 : simplifier l’accès aux aides : il a fallu que ce soit nous une association sans moyens qui mettions en place un calculateur d’aides sur le territoire de notre Métropole (10) Nous, Archipel Citoyen, qui prenions le relais de la Métropole toulousaine ! Pour voir cette solution figurer dans ce rapport
  • Mesure 6 : « Soutenir financièrement les acteurs territoriaux mettant en place un compte mobilité » quand nous avons à plusieurs reprises demandé que des compensations soient offertes aux utilisateurs de l’autopartage et que cela a été refusé
  • Mesure 8 : « Optimiser « l’aller-vers » quand rien n’a été fait pour aller informer les habitantEs de la Métropole là où ils sont, limitant la communication à des affichages publicitaires en 4 par 3
  • Mesure 11 : « Multiplier massivement les Services Express Métropolitains » quand M. Moudenc refuse de financer un centime du futur RER métropolitain alors qu’il distribue des millions pour des projets routiers obsolètes comme la Jonction Est ou co-finance des projets qui sont pourtant de la seule responsabilité de l’Etat (LGV)
  • Mesure 12 et 13 : « Promouvoir et rendre attractif le covoiturage », « Accélérer le déploiement de voies dédiées au covoiturage » quand  M. Moudenc laisse au point mort complet l’étude d’un service de covoiturage sur la Métropole, le seul projet effectif, COMUTE ayant été abandonné. Sans compter l’étude sur une voie dédiée covoiturage sur la rocade, qui était dans notre programme en 2020, qui se met en place à Nantes, Bordeaux, Lyon et Paris et qui n’est toujours pas lancée ici. 
  • Mesure 14 : « Favoriser, soutenir et garantir la pratique du vélo » quand le budget vélo est réduit à un maigre 100 millions d’euros et qu’en 1 an (2022) le réseau cyclable de la Métropole a cru d’un famélique 0.5% (de 980 à 985 kms LIEN)

Nous ravalons notre salive sur ce coup-là mais le plus dur reste à venir : le pompon pour les habitantes et habitants et la révélation au grand jour de la duplicité de Dr Moudenc / M. Moudenc : la suspension pure et simple dans les faits de la ZFE.

En effet, afin de calmer la grogne sociale (mais sans offrir aucun investissement majeur dans les transports décarbonés), l’Etat via le comité ministériel ZFE du 10 juillet 2023 assouplit les règles (11) et amende les obligations de la loi Climat et Résilience (= obligation de mise en place de ZFE à l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants) pour revenir au calcul alambiqué de la loi LOM: il suffit maintenant d’avoir trois années de niveaux de pollution atmosphérique aux dioxydes d’azote sous le seuil toléré de 40 ug/m3 parmi les 5 dernières années pour ne pas avoir d’obligation de mise en place de la ZFE.

Et miracle! Toulouse a réussi pile poil ces 3 dernières années à être sous ce seuil et devient « Territoire de vigilance » lui permettant de ne pas mettre en vigueur d’interdiction des Crit’Air 3 :

Combiné à l’absence de contrôle de police sur les Crit’Air 4 et 5 et au recul dans le temps de la fourniture par l’Etat des caméras de vidéosurveillance (repoussée sans cesse et maintenant annoncée deuxième semestre 2024 …) le résultat est sans appel : aucune restriction de circulation et stationnement pour personne dans la Métropole toulousaine. Plié.

Mais ce n’est pas grave me direz-vous puisqu’on est maintenant sorti de la zone rouge ?

Et bien non, et ce pour 5 raisons :

  1. Regardez bien le tableau une première fois : 2020 a été une année COVID. Ainsi toutes les villes de France ont subi une réduction drastique des émissions cette année-là qui en fait une année biaisée.
  2. Ensuite, toujours le tableau, car Toulouse reste en moyenne sur les 3 dernières années ainsi que sur la dernière année la ville la plus polluée juste derrière les 5 villes épinglées par le dispositif. Alors qu’elle ne l’était pas pré-COVID (Grenoble, Reims était pire que nous)
  3. Parce que la fréquentation du périphérique remonte (12) avec selon la Direction des Routes, sur la partie Sud-Ouest qui est la plus incriminée côté pollution, « une progression du trafic de l’ordre de 4 à 5 % entre 2022 et 2023 »  n’est pas prête de ralentir vu l’augmentation permanente du nombre d’habitantEs et la faiblesse des solutions de report modal au Sud (bus, RER, REV) dont l’augmentation du trafic de la rocade est la conséquence tragique. Ce qui a été confirmé par les études multimodales commandées conjointement par la Préfecture, la Région  le Département et la Métropole : il n’y aura pas de baisse du traffic à prévoir d’ici 2030.
  4. Parce que si le niveau moyen de dioxyde d’azote est en-dessous du seuil de 40 ug/m3, il reste au-dessus du seuil toléré autour périphérique et des boulevards comme le montre les graphiques ci-dessous tirés de (3), ce qui amène la majorité à reconnaître qu’entre 1200 et 2200 personnes sont encore exposées à des niveaux dangereux et ATMO de déclarer dans son rapport (3): “des dépassements de la valeur limite annuelle fixée pour la protection de la santé sont toujours constatés à certains secteurs aux abords d’axes de circulation importants et de voies congestionnées où la topographie ne permet pas une dispersion efficace du polluant”
  1. Enfin et surtout parce que les seuils utilisés sont obsolètes. En effet, nous avertissons la majorité depuis 3 ans sur le sujet, inlassablement : en septembre 2021 (mais c’était connu avant d’où nos alertes), l’OMS avait revu les seuils de nocivité des Nox et déclaré qu’elle passait son seuil de référence des 40 ug/m3 vus ci-dessus à 10 ug/m3 étant donné les études complémentaires faites depuis 2005 qui montrait un danger bien plus important sur la santé des NOX que pensé au départ ! Divisé par 4 !

Cible qui faisait sens puisque même l’Etat français le reconnaissait en publiant le décret 2022-1641 du 23 décembre 2022 qui introduisait à l’époque la possibilité pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants de se soustraire à l’instauration des ZFE-m si les taux de concentration de dioxyde d’azote étaient, sur l’ensemble des stations fixes de mesures de la qualité de l’air de l’agglomération ou pour au moins 95 % de la population de chaque commune de l’agglomération, inférieurs à 10 µg/m³ sur au moins trois années sur les cinq dernières années.

Ambition nécessaire et passée à la trappe donc 6 mois plus tard par le comité interministériel puisqu’on repasse cette non instauration à … 40 ug/m3. Indécence.

Et on comprend le besoin du tour de passe-passe du gouvernement qui veut acheter la paix sociale quand peut voir l’ampleur de l’impact pour les villes françaises en regardant le tableau ci-dessus puisqu’aucune des villes françaises ne tient en 2022 l’objectif du décret.

A Toulouse, il aurait fallu immédiatement se saisir de l’importance de ce seuil très ambitieux de 10 ug/m3, alerter et évaluer l’impact sur notre parc automobile d’un tel changement. 3 ans à le demander et refus de la majorité de l’examiner. « On attend de voir ce que l’Europe va en faire » nous disait François Chollet. Résultat, ça y est les parlementaires européens se sont positionnés face à ce qu’ils appellent une « pandémie silencieuse » (13) et le Parlement européen a adopté le 13 septembre une proposition de loi visant à réduire de 75% en 10 ans les morts par pollution. L’Europe impose ainsi une baisse du seuil de 40 à 20 ug/m3 d’ici 2030 et atteindre le fameux seuil OMS de 10 ug/m3 en 2035. Certes il reste le houleux chemin du Conseil des Ministres mais la direction est lancée et, quand on voit la situation de Toulouse avec l’absence de plan massif de transports d’ici à 2030 (arrivée présumée du métro dont malheureusement l’agence ATMO elle-même juge qu’elle ne réduira les émissions que de 3%…), combinée à l’augmentation du trafic sur la rocade, on voit la bombe sanitaire que vient d’armer le gouvernement bien suivi (ou précédé) par M. Moudenc.

Il serait donc important pour toutes ces raisons, quelle que soit la décision peu courageuse de l’Etat, de continuer à Toulouse à travailler la question de la pollution et d’accélération du report modal tout en fournissant un calendrier clair pour les futures cibles des baisses de seuil : les Crit’Air 1 à 3.

D’autant que le Dr Jean-Luc annonçait clairement le 16 février 2023 en conseil Métropolitain : « Sur le fond, nous sommes d’accord sur l’objectif, nous ne remettons pas en cause les ZFE. Elles sont pertinentes, elles ont fait leurs preuves en réalité depuis quasiment un quart de siècle dans d’autres pays en Europe, nous conservons l’objectif ». Et comme disait le ministre Béchu « Un élu peut potentiellement décider d’aller plus loin ou plus vite que la musique nationale en l’état actuel du droit, mais ce n’est en aucun cas une obligation légale”  (11)

Las, que décide la Métropole ? « Si les seuils autorisés sont dépassés trois années sur le territoire métropolitain sur une période de 5 ans, les restrictions seront réexaminées » (projet de délibération DEL 23-0831 proposé au vote du conseil Métropolitain du 12 octobre 2023 – non transmissible au public avant vote)

Traduction : non, on ne planifiera rien pour les Crit’Air suivants dont on sait qu’on va devoir les traiter : on va attendre tranquillement. Retour à l’épisode 1. Alors que les villes similaires aux nôtres, même sorties des 3 ans, continuent avec courage et clarté (Grenoble).

Et le vice-président de la Métropole a été clair en commission métropolitaine sur le sujet:

Certes la majorité continue sa politique de subvention pour le renouvellement des véhicules et l’étend aux Crit’Air 3 mais avec 541 primes distribuées depuis mars 2022 (source Toulouse Métropole, autour de 1500 au total en 2 ans et demi) pour un parc Crit’Air 3 à 5 (et non classés) de 143 486 véhicules en 2022 dans le périmètre ZFE selon le gouvernement (13), cela nous amène à un taux complet de renouvellement de ces véhicules par subvention en … 2288 ! Ce d’autant que même subventionné, le reste à charge pour une électrique entrée de gamme est énorme pour les ménages concernés par ces Crit’Air (autour de 30 000 euros prix catalogue de la plupart des petites citadines).

Ainsi LE dispositif mis en avant par la Métropole paraît négligeable face à l’enjeu.

Et maintenant ? Courage, visibilité et anticipation

Bien sûr la situation est complexe, très complexe et allier santé et justice sociale une gageure incroyable, casse-tête que chaque maire et président de Métropole de France a à résoudre. Et oui l’interdiction en 2024 des Crit’Air 3, si elle avait été sincère, aurait créé de grandes difficultés. Mais la politique de l’autruche n’est en aucun cas acceptable. Et celle du mirage de la voiture électrique ne l’est pas plus, ni socialement, ni écologiquement.

Il faut donc afficher courage, visibilité et politique ambitieuse de report modal de la voiture individuelle vers les autres solutions.

Il est indécent de s’être affiché comme un maire ambitieux sur la question de la pollution et , dans les faits, de ne rien contrôler et détourner ainsi les yeux de l’avenir. Les toulousaines et toulousains peuvent comprendre le défi qui est le nôtre aujourd’hui et demain et que laisser les habitantes et habitants de Papus, La Faourette, du Mirail, des grands boulevards s’asphyxier encore des années n’est pas acceptable.

Le Dr Jean-Luc le sait pertinemment mais il laisse M. Moudenc continuer une politique électoraliste mortifère. Au sens « propre »

Il appartient donc aujourd’hui à Toulouse de :

  • Dire la vérité sur l’arrivée prochaine de normes plus restrictives de pollution atmosphérique et la situation concernant la pollution. Et en évaluer les conséquences sur les restrictions.
  • Fournir une visibilité claire et de long terme en phase avec ces normes connues de maintenant à 2035 et s’y tenir pour ne pas avoir l’effet actuel de perte de crédibilité
  • Mettre en place de suite un plan d’urgence transports comme nous le proposons depuis des années afin de permettre aux habitantes et habitants de changer leurs modes de transport actuel et offrir une palette complète d’opportunités à combiner en fonction des besoins de la semaine, allant des transports en commun (bus, RER, tram), du vélo, du covoiturage, des 2 roues électrique, du pass petits rouleurs, de l’auto-partage jusqu’au retrofit des véhicules, la subvention au véhicule électrique personnel, si elle a le mérite d’exister, ne permettant aucunement d’être envisagée comme une solution équitable. Tous les moyens cités devant être poussés à la fois par l’infrastructure (voies, bornes de recharge et parkings relais) et par des politiques tarifaires incitatives
  • De soutenir les professionnels avec encore plus de force si on veut encore avoir des interventions en ville tout en travaillant ambitieusement la logistique du dernier km aujourd’hui encore à l’état de pré-étude dans notre Métropole
  • Continuer de fournir des aides au changement de mobilité mais en évaluant leur impact précis par euro dépensé.
  • Arrêter les aides au stationnement de centre-ville pour les SUV électriques
  • Informer, conseiller, accompagner avec de vrais moyens d’ « aller vers » les habitantes et habitants (porte à porte, présence sur les marchés) dès aujourd’hui

Nous poussons tout cela depuis 3 ans et nous continuerons.

Et en cohérence et en conséquence jeudi nous ne pouvons accepter de voter la suspension pure et simple du processus ZFE telle que présentée. Le gel , annoncée par le président de la Métropole qui ne résoud rien et ne se montre pas à la hauteur des enjeux

Notes

(1) « D’après Santé Publique France, la pollution de l’air est responsable de 40 000 décès prématurés par an en France. Une étude publiée par des chercheurs en santé environnementale de l’université de Harvard estime que le nombre de décès prématurés par an pourrait être sous-évalué et davantage proche de 100 000 décès prématurés par an en France » dans https://reseauactionclimat.org/lutte-contre-la-pollution-de-lair-deploiement-des-zones-a-faibles-emissions-ou-en-est-on/

(2) https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/21/le-cout-economique-de-la-pollution-de-l-air-estime-a-3-5-milliards-d-euros-par-an-a-paris_6056758_3244.html

(3) https://www.atmo-occitanie.org/sites/default/files/publications/2023-06/ATMO-BILAN-ANNUEL-2022-HAUTE-GARONNE-BD.pdf

(4) https://toulouse.latribune.fr/politique/2018-10-11/a-toulouse-les-voitures-tres-polluantes-bientot-chassees-des-grands-axes-793724.html

(5) https://toulouse.latribune.fr/politique/territoires/2019-04-08/une-carte-alerte-sur-la-pollution-a-toulouse-pres-des-ecoles-813484.html

(6) https://toulouse.latribune.fr/politique/debats/2019-08-20/les-quatre-scenarios-envisages-a-toulouse-pour-reduire-la-pollution-automobile-826031.html

(7) https://toulouse.latribune.fr/politique/territoires/2021-01-05/zfe-a-toulouse-quels-sont-les-vehicules-qui-ne-pourront-plus-rouler-des-le-printemps-2021-867677.html

(8) https://www.ladepeche.fr/2023/07/19/zfe-a-toulouse-catastrophique-pour-notre-budget-reculade-pour-lenvironnement-lassouplissement-ne-fait-pas-que-des-heureux-11348092.php

(9) https://www.vie-publique.fr/rapport/290236-les-zones-faibles-emission-zfe-25-propositions

(10) https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/toulouse-zfe-voici-a-quelles-aides-vous-pouvez-pretendre-pour-changer-de-vehicule_58043525.html

(11) https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/zfe-le-gouvernement-recule-voici-ce-qui-va-changer-a-toulouse_59837413.html

(12) https://www.liberation.fr/environnement/pollution/contre-la-pandemie-au-ralenti-de-la-pollution-de-lair-les-eurodeputes-votent-des-normes-beaucoup-plus-restrictives-20230914_A3W6I4HAJJFQTCAP522V55T4HA/?redirected=1&redirected=1

(13) http://dataviz.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ZFEShinyAppv3/

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